Entre biberon et boulot
Maman est sa propre patronne
En difficulté avec le rythme de salariées ou écartées de leur emploi, certaines mamans se mettent à leur compte. Elles gagnent en flexibilité mais pas en sécurité financière.
Les trois quarts des mères de Suisse travaillent. Parmi elles*, 14,3% sont indépendantes ou collaboratrices familiales. Les autres sont salariées ou apprenties.
Les mamans sont nombreuses à s’être mises à leur compte afin de gagner en flexibilité. Ainsi, elles vivent le quotidien à leur rythme et parviennent à concilier vie professionnelle et vie familiale : “Je peux mieux gérer mon planning comme indépendante. Je n’ai pas voulu choisir entre mon travail et ma fille“, explique Alexandra Khalil (29 ans), une thérapeute du sport de Sion.
Mampreneurs – l’Association suisse des mamans entrepreneurs – propose à ces femmes de s’entraider, en échangeant leurs compétences : “Quand on est indépendante, on doit apprendre d’autres métiers que le sien pour fonctionner“, souligne sa présidente, Katell Bosser. Il y a deux conditions pour devenir membre de cette association : être maman et avoir émis au moins deux factures. Un peu plus de trois ans après sa création, près de 100 femmes en font partie. Travailler en indépendant présente pourtant une prise de risques. Il faut convaincre pour trouver – et garder – des clients, se montrer disponible et oublier les salaires fixes mensuels !”Je ne sais pas de quoi demain sera fait“, confirme Helen Rowlands Detraz.
Pour trouver ce qui leur convient, certaines mamans s’en donnent les moyens. A son retour de troisième congé maternité, on a informé Clotilde Masson qu’il n’y avait plus de place pour elle dans l’entreprise. Ayant sans succès essayé d’obtenir un poste à 80% ailleurs, la directrice marketing a eu envie de trouver un travail plus humain. Elle suit des études de psychologie à Genève et espère devenir logopédiste.
*Office fédéral de la statistique / Enquête suisse sur la population active, 2013.
Helen assure des mandats de secrétariat
“Enceinte, j’ai dû vite trouver une solution”
Après avoir grandi et étudié en Angleterre, Helen Rowlands Detraz vit depuis sept ans à Lausanne. Elle y a suivi son mari, employé dans l’hôtellerie en Suisse romande. Le couple a deux garçons, de 3 ans et 1 an.
En tant que secrétaire, Helen a travaillé successivement pour deux sociétés de chasseurs de têtes.
Enceinte de son second enfant, elle a annoncé sa grossesse à ses employeurs à la fin de son temps d’essai. Ils ont mal pris la nouvelle et c’est devenu intenable pour elle : “Victime de harcèlement, j’ai dû me mettre en arrêt maladie“. Elle a cherché enceinte un autre travail : en vain.
Si elle avait été au chômage, elle aurait perdu les places en crèche pour ses garçons. Elle a alors réfléchi à une solution : “Il a fallu faire vite. J’ai décidé de me lancer comme indépendante“. La jeune femme propose via son site Internet My Virtual PA de réaliser des travaux de secrétariat : “J’ai eu cette idée en lisant des parcours de femmes qui ont expérimenté ce projet en Angleterre et aux Etats-Unis“.
Elle a pris un risque financier, car elle ne savait pas si elle trouverait des clients : “Il fallait payer la crèche sans revenu, c’était difficile. Mais même si je ne sais pas de quoi demain sera fait, c’est important pour moi de travailler. Je ne m’en étais pas rendu compte à ce point-là avant d’avoir mes enfants“.
Aujourd’hui, elle exécute les mandats qu’on lui confie quatre matins par semaine, pendant que Tom et Carl sont à la crèche. Elle est aussi disponible le soir et le week-end, lorsque son mari peut s’occuper des enfants.
Elle ne regrette pas son choix : “Ce n’était pas facile, mais je suis contente de l’avoir fait“.
Idéalement, Helen préférerait être salariée, pour la sécurité que cela représente. Mais elle sait à quel point il est difficile de trouver un poste qui offre la flexibilité dont elle bénéficie avec son statut d’indépendante.
Bettina a une agence philosophique
“J’ai recommencé à zéro après un burn-out”
Après des études et de la recherche en philosophie et philosophie médiévale entre Bâle, Fribourg, Paris et Genève, faute de poste disponible, Bettina Kreissl Lonfat s’est réorientée. A Zurich, elle est devenue administratrice et assistante personnelle dans le domaine de l’histoire de la médecine. “Comme on ne se débarrasse jamais de la philosophie, j’ai eu l’occasion de faire de l’éthique“, raconte-t-elle. Après la naissance de sa première fille et à la fin de son congé maternité, elle a réduit son taux de travail. De son côté, son mari Joël était engagé professionnellement à l’étranger. Il était absent de la maison toute la semaine. Rythme effréné, exigences élevées : la jeune maman a été victime d’un burn-out et d’une hernie discale. “J’ai alors décidé de recommencer à zéro. Mon mari a cherché un autre emploi et nous avons déménagé dans son canton d’origine, le Valais“.
Depuis l’adolescence, Bettina a l’idée de créer une agence de recherche. Aujourd’hui, ce projet a abouti. Il a vu naître il y a dix mois l’Agence philosophique : “Je propose de la publication au sens large du terme, sur tous les supports, au nom de la transmission d’idées“. Elle travaille comme indépendante, chez elle, et collabore avec un autre collègue freelance. Son mari est employé à 70% : “Ce nouveau rythme nous convient beaucoup mieux. C’est la preuve qu’il est possible de trouver des solutions à ses besoins. Tout est une question d’équilibre“.
Le couple s’occupe ainsi presque seul de ses deux filles de 3 ans et demi et 18 mois. Amélie et Claire ne vont pas à la crèche. L’aînée se fait garder par sa grand-mère une fois toutes les deux semaines. Bettina Kreissl Lonfat est satisfaite de son quotidien actuel, qui lui permet une flexibilité qu’elle n’avait pas comme salariée. Son message aux mamans qui ont envie de concrétiser un projet : “Vous pouvez, il faut juste oser !”
Nathalie fait de la communication
“Je suis toujours tiraillée entre mon travail et mes enfants”
Après des études de lettres, Nathalie Cobos a travaillé plusieurs années dans l’horlogerie de luxe, en tant que responsable des relations presse. Lorsqu’elle a repris son emploi après la naissance de son premier fils, elle n’a pas obtenu de temps partiel : “Je de-vais me déplacer souvent et dormir à l’extérieur. Mon fils se mettait à hurler dès que je partais. Je ne me sentais ni bien à la maison, ni au travail“. Elle a persévéré six mois, puis démissionné. Après s’être consacrée à son fils un an durant, elle a retrouvé un temps partiel : “J’avais un contrat à 60% mais je travaillais souvent le soir et le week-end pour des événements“.
L’idée de se lancer en indépendante lui trottait déjà dans la tête. Elle avait peur d’arriver sur un terrain déjà très occupé. Après qu’une société intéressée par ses compétences l’a contactée, elle a franchi le pas et a créé sa société de communication, Comm’On, en février 2013 : “C’est alors que contre toute attente, je suis tombée enceinte pour la deuxième fois !”
Elle a prévenu ses clients et assumé le mieux possible ses mandats : “Une heure après avoir accouché, j’étais au téléphone pour régler des questions“, sourit-elle. Aujourd’hui, Nathalie Cobos travaille depuis chez elle quatre jours par semaine, ce qui lui laisse une grande flexibilité. Pendant ce temps, ses enfants sont à la crèche ou chez leurs grands-parents, car son mari a un poste à responsabilités à plein temps. Cette organisation permet à cette maman de consacrer un jour entier par semaine à ses garçons : “Je suis toujours tiraillée entre la passion que j’ai pour mon travail et l’amour que j’ai pour mes enfants“.
Elle regrette que les employeurs craignent le travail à domicile : “Ils pensent à tort qu’on ne fait rien à la maison. Au contraire, on abat un travail énorme car on n’est pas dérangé“. Son quotidien reste une course perpétuelle. “Mais j’arrive à tout faire, ce qui ne serait pas possible comme salariée. J’espère que les structures d’accueil d’enfants se développeront en Suisse“.
Joëlle Challandes | Coopération Magazine.